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La traversée de Gavarnie par les crêtes

by Maxime Daviron

Voilà quelques années que je mûrissais cette idée dans un coin de ma tête. Le tour du cirque de Gavarnie par les crêtes, en trois bivouacs, avec comme point culminant le pic du Marboré (3248 m) et son ascension par l’arête nord. Les informations sur cette dernière se faisant rarissimes sur le net, il me fallut glaner quelques conseils auprès de l’une des quelques personnes l’ayant empruntée depuis sa première ascension en 1874. Il faut dire que si l’accès par cette arête est relativement facile malgré le mauvais terrain, cotée AD- (cotation d’alpinisme), elle n’est pas particulièrement logique hors du cadre de courses telles que cette boucle autour du cirque – par conséquent, la majeure partie des montagnards accèdent au Marboré par sa voie normale ou à la rigueur par l’arête Passet (AD+) et la crête des Druides (TD-).

L’itinéraire que je dessine sera donc une « version longue » : après un départ du village de Gavarnie (1350 m), nous monterons jusqu’au plateau de Pailla puis la Hourquette d’Alans avant de basculer dans le haut de la vallée d’Estaubé jusqu’à la brèche de Tuquerouye, d’où nous redescendrons au Lac Glacé pour un premier bivouac. Le deuxième jour, nous devrons remonter les balcons de Pineta en direction du col d’Astazou, en nous dirigeant vers la brèche sud afin d’accéder directement à l’arête nord du Marboré, que nous grimperons jusqu’au pic (3248 m). Après un deuxième bivouac au sommet de ce dernier, nous emprunterons une partie de la voie normale avant de bifurquer sur les crêtes au coeur du cirque, passant sous la Tour du Marboré et redescendant vers la voie normale via un couloir, pour finalement rejoindre la brèche de Roland, près du dernier bivouac. Ne restera alors que la redescente jusqu’à Gavarnie, 1500 m de dénivelé négatif dans la journée via la cascade du Taillon, le vallon de Pouey Aspé et la forêt.

En tout, nous aurons un minimum de 2500 m de dénivelé positif cumulé et une quarantaine de kilomètres à parcourir majoritairement en terrain de haute altitude. Le périple – que je ferai en compagnie de Sébastien Fraud – promet d’être intense, mais les fenêtres qu’il offrira sur le cirque et le massif du Mont Perdu le justifient largement.

Si je dis qu’il s’agit d’une « version longue », c’est parce que j’envisage également à l’avenir une alternative bien plus courte mais plus technique et engagée : de Gavarnie, il s’agirait de monter au col d’Astazou via l’itinéraire des Rochers Blancs (très raide, globalement hors sentier dans le flanc est du cirque), de gravir l’arête nord puis de filer jusqu’au col de la Cascade d’où il faudrait descendre via un pierrier abrupt jusqu’aux étages supérieurs du cirque, qu’il resterait alors à traverser via des passages très exposés jusqu’à redescendre à 2400 m d’altitude. De là, une descente par l’échelle des Sarradets, passage lui aussi assez raide filant jusqu’au fond du cirque, permettrait de regagner l’itinéraire touristique ramenant au village. Mais un tel trajet implique une connaissance parfaite de ces différents points de passage, et éventuellement d’embarquer un matériel plus technique. Il se fera donc plus tard, après de futurs repérages.

La veille du départ, nous faisons donc nos sacs en tentant de les alléger au maximum, ne gardant que l’essentiel : pas de tente (un tarp en cas d’averse imprévue) ; les piolets seulement (les crampons étant globalement inutiles à cette saison cette année) ; des casques pour le mauvais terrain entre la brèche sud d’Astazou et le sommet du Marboré ; et seulement le matériel pour des bivouacs à la belle étoile, les vêtements et équipements nécessaires, notre matériel photo avec des trépieds plus fins, juste ce qu’il faut pour manger et environ trois litres d’eau chacun – les torrents, sources, résurgences et restes de névés n’étant pas rares là-haut, nous pourrons nous alléger sur certaines portions propices. Sébastien ne résiste cependant pas à l’envie d’embarquer une minuscule cafetière italienne, mais il faut dire qu’un vrai café matinal est un luxe bienvenu dans de telles conditions.

Nous partons donc nous coucher avec toutes ces pensées en tête, pensées qui s’avèrent tourner en boucle dans la mienne : pour une obscure raison, je ne parviendrai qu’à dormir une petite heure avant que le réveil sonne à 6 h 30… Je vais donc devoir faire la plus longue journée de marche du périple dans cet état, mais, le café aidant, j’arrive à oublier ce « détail » assez vite.

• Jour 1 | 19 août

Deux heures et demi de route et quelques courses plus tard, nous arrivons à Gavarnie. Malheureusement, l’effet « déconfinement » s’est ajouté à l’habituelle affluence de la semaine du 15 août, et un véritable embouteillage se forme dès l’entrée du village. Je décide de faire demi-tour pour m’infiltrer sur le parking principal via quelques ruelles que je connais bien, et nous nous garons comme nous pouvons sur une petite place disponible. Après avoir avalé un rapide petit déjeuner, nous nous équipons et chargeons nos sacs. Malgré la durée de cette traversée, nous avons réussi à maintenir un poids acceptable, autour de 15 kg.

Nous nous extirpons du centre du village et traversons rapidement la rue principale bondée. Face à nous, presque deux kilomètres plus haut, s’érige le but principal de notre périple. Demain, dans l’après-midi, nous nous tiendrons sur son sommet.

Après quelques centaines de mètres sur le chemin du cirque, nous bifurquons à gauche et commençons à enchaîner les lacets qui s’élèvent dans la forêt en direction du refuge des Espuguettes, laissant derrière nous le flot humain qui se déverse jusqu’au pied de la Grande Cascade. Rapidement, nous prenons de l’altitude, et quelques fenêtres à travers les sapins nous dévoilent le pic des Sarradets et le Taillon, à l’extrémité ouest du cirque.

À 13 h 30, deux heures après avoir quitté le parking, nous atteignons le refuge des Espuguettes autour duquel se pressent quelques groupes de marcheurs. Nous y faisons brièvement halte pour manger, et repartons en direction de notre prochaine étape, la Hourquette d’Alans, col situé à 2430 m et permettant de basculer dans la haute vallée d’Estaubé.

Un peu plus d’une heure plus tard nous passons le col, et avec lui la barre des 1000 mètres de dénivelé.

Après une courte pause, nous entamons une redescente dans les pierriers sauvages qui mènent sous la brèche de Tuquerouye. Alors que nous désescaladons un court passage, Sébastien repère une silhouette haut perchée : un isard, profitant d’un petit oasis de verdure agrippé à flanc de falaise.

Après une traversée descendante depuis la Hourquette, il nous faut remonter en direction de la borne de Tuquerouye, piton rocheux marquant le début de la brèche raide qui mène jusqu’au refuge non gardé du même nom, à cheval sur la crête frontière. Un grimpeur s’y engage, traversant les névés qui subsistent au pied du couloir. Peu après lui, à 18 h, nous attaquons la raide ascension de la brèche, dernière difficulté de cette première journée.

Arrivés aux deux tiers du couloir, nous nous laissons rattraper par un petit groupe afin d’éviter que trop de chutes de pierres ne leurs parviennent.

Ensemble, nous passons le secteur le plus croulant et le plus raide, esquivant un rocher instable en grimpant directement dans le rocher qui affleure sur la droite du couloir. Réchauffement aidant, les conditions de cette moraine se sont nettement dégradées depuis mon dernier passage, en 2013. Après ce dernier effort, nous atteignons le refuge en ogives, à 2666 mètres, après 1600 mètres de dénivelé cumulé. Face à nous, l’imposante face nord du Mont Perdu s’étend au-delà des balcons de Pineta, vallon rocheux abritant le Lac Glacé au bord duquel nous bivouaquerons ce soir. Après une dernière pause, nous redescendons le versant espagnol de la brèche, où le couloir est heureusement beaucoup plus court.

Enfin, nous rejoignons les rives du lac et le lieu de notre bivouac du jour. Il est un peu plus de 20 h quand nous posons les sacs, près de neuf heures après avoir quitté le parking du village. Mais le repos va devoir attendre encore un peu : les quelques murets érigés dans les environs étant déjà occupés par d’autres ascensionnistes, nous terminons de nous épuiser en empilant de lourdes pierres pour ériger un « U » du côté exposé au vent, et installons le camp pour la nuit.

Un thé et un repas chaud plus tard, nous gagnons nos duvets alors que la nuit tombe dans un silence minéral. Demain, nous débuterons l’ascension du point culminant du cirque, le pic du Marboré, et ses 3248 m.

• Jour 2 | 20 août

Après un sommeil réparateur, nous émergeons de nos duvets en début de matinée et savourons un bon café avant d’attaquer la journée vers 10 h.

Depuis les balcons de Pineta, nous filons plein ouest en direction de la brèche sud d’Astazou, et jetons un dernier coup d’oeil au refuge de Tuquerouye alors que nous longeons le Lac Glacé.

La marche d’approche nous fait traverser un long secteur pierreux hors sentier, avec le Mont Perdu et son glacier balayés par les nuages à notre gauche ; les crêtes frontières et les pics d’Astazou à notre droite ; et notre objectif droit devant.

L’ambiance sauvage et primitive de ces lieux de haute altitude est accentuée par la présence de nombreux fossiles de micro-organismes marins. Alors que nous abordons d’anciennes moraines, une forme ronde retient mon attention : c’est un oursin fossilisé, assez massif. Mais j’essaie de garder mon regard fixé vers les hauteurs, pour y scruter en détails la crête que nous allons devoir emprunter. Derrière nous, la vallée de Pineta se dévoile.

Soudain, un bruit nous interpelle : les aboiements d’un chien qu’un randonneur a eu la mauvaise idée d’emmener à cette altitude, au cœur du parc national. Les cris ont fait fuir deux isards à travers les pierriers, galopant à travers la moraine en passant à quelques dizaines de mètres de nous.

Aux alentours de midi, nous taillons notre trace à travers un névé assez raide en dévers, et attaquons la montée jusqu’à la brèche sud. Après quelques hésitations sur le chemin à suivre et de laborieux efforts à travers un terrain croulant, une cheminée assez raide nous conduit jusqu’au col où nous découvrons la vue plongeante sur le cirque – approche qui se révèle finalement être le passage le plus exposé de l’ascension. Il est près de 13 h, nous sommes à un peu plus de 2900 m, au pied de l’arête nord. Il nous reste désormais près de 350 m de dénivelé à grimper jusqu’au pic. Après une courte pause, nous attaquons. Nous évoluons successivement sur l’un ou l’autre versant du fil, admirant le Mont Perdu à l’est et le kilomètre et demi de vide de Gavarnie à l’ouest. Par chance nous restons majoritairement sur ce dernier versant, abrités des fortes rafales qui secouent l’autre côté.

Il nous faut une heure pour venir à bout du premier ressaut – le plus long – et nous arrivons au premier replat, où nous pouvons marcher jusqu’à un rocher qui nous abritera le temps d’une pause. La vue est saisissante des deux côtés, pour le moins inhabituelle. La suite semble « impossible » de notre perspective, mais il suffit en réalité de grimper quelques gradins pour contourner une éminence via une petite corniche le long du versant ouest. Nous découvrons alors l’imposante paroi verticale qui constitue une partie de la face nord du Marboré, plongeant dans des recoins ignorés du massif. L’ambiance ici, loin de tout être humain, est magnifiquement austère.

Le deuxième ressaut s’élève à notre gauche, remontant droit vers le fil via un passage assez exposé mais dans un rocher bien meilleur.

Une fois la crête retrouvée, il ne nous reste qu’à attaquer la partie la plus facile, bien que paumatoire : le troisième et dernier ressaut, alternance de courte marche sur des vires et de petites cheminées de cinq à dix mètres.

Enfin, vers 15 h, la pente se fait moins raide et nous n’avons plus qu’à suivre un cheminement sinueux au hasard à travers un dédale de calcaire ocre – annonciateur du sommet.

Mais celui-ci est un dôme immense, et la marche finale jusqu’aux falaises qui plongent dans le cirque nous semble sans fin. Arrivé un peu plus tôt, je jette mon sac dans l’abri à bivouac que je cherchais, et découvre le panorama vertical qui nous a mené ici.

Comme toujours, son immensité n’est pas descriptible. À mes pieds, la crête des Druides s’élève de la paroi comme une lame tranchante plongeant dans l’abîme. De l’autre côté, le pic du Taillon borne l’extrémité ouest du cirque, dominant les Sarradets et la moraine qui s’élève jusqu’à la brèche de Roland. Je scrute les différents étages de l’amphithéâtre, essayant de repérer un itinéraire que j’ai prévu de tenter en septembre. Autour de nous, des sommets plus ou moins connus s’étirent vers le ciel dans une brume atmosphérique diffuse.

Si ce spectacle minéral ne me lasse pas, les rafales de plus en plus fortes me poussent à retrouver l’abri du cercle de pierres au creux duquel nous passerons la nuit. Ceux qui ont bâti ce solide muret l’ont judicieusement prévu assez haut, et nous pouvons y faire chauffer le « thé de la victoire » bien à l’abri du vent. À une cinquantaine de mètres de là, un névé nous fournit de quoi renouveler notre réserve d’eau.

La journée passe, les nuages qui nous frôlent se font de plus en plus nombreux. Aux alentours de 20 h, la lumière dorée se fractionne tout autour de nous et les ombres défilent à grande vitesse sur le vaste plateau sommital. Le plafond se charge et s’abaisse jusqu’à nous immerger de temps à autres, et le véritable visage du cirque se dévoile dans cette alternance d’atmosphères brumeuses où des tâches de lumière révèlent tour à tour les multiples détails qui se cachent dans cet univers suspendu. À l’ouest, d’immense rayons découpent les silhouettes des sommets plus lointains et illuminent les flancs des vallées déjà dans l’ombre. Le vent souffle et ces visions se perdent dans un épais brouillard, encore et encore, jusqu’à finalement ne plus en resurgir.

Nous regagnons nos duvets dans la lueur d’incendie qui baigne l’épaisse brume. Bien plus tard, alors que le sommeil me gagne, je sors la tête de mon duvet. Le ciel s’est ouvert, et je découvre la voûte céleste dans une atmosphère pure et une obscurité totale. Une cinquantaine de centimètres d’air calme me sépare du vent qui souffle en continu. Les nuages repassent, les étoiles s’estompent dans un voile sans contour, puis une percée les révèle de nouveau. À chaque ouverture, l’effet reste intact, comme une impression de n’être qu’un regard perdu dans l’altitude, témoin privilégié d’un spectacle insoupçonné. Comment mieux s’endormir ?

• Jour 3 | 21 août

6 h 30. Les premières lueurs de l’aube colorent déjà l’horizon est, prélude de cette troisième journée qui commence au sommet du cirque.

Loin de s’être calmé, le vent s’acharne encore sur les crêtes. À 7 h, l’ombre du Marboré se projette vers l’Espagne, et les cimes de l’ouest captent en même temps que nous les premiers rayons du soleil.

Après un rapide petit déjeuner, nous replions le bivouac et quittons le sommet vers 9 h en empruntant une traversée directe vers les pics de la Cascade.

À notre droite, des fenêtres vertigineuses s’ouvrent parfois sur le cirque.

Nous descendons ensuite vers le chaos labyrinthique qui compose cette partie perdue du massif. Nous serpentons dans un dédale karstique où se succèdent falaises, lapiaz, pierriers, névés et gouffres s’ouvrant vers les entrailles de la montagne. Le secteur est réputé paumatoire, et ne faillit pas à sa réputation. Après avoir suivi une trace sur la carte qui semblait plus directe, nous arrivons au sommet d’un précipice d’une cinquantaine de mètres en surplomb. Impensable d’y descendre, nulle vire n’est discernable, et même si nous avions pris de quoi faire un rappel, les points d’ancrage dans le calcaire croulant sont inexistants. Nous sommes contraints de faire demi-tour et de rejoindre la voie normale. De là, nous progressons d’un névé à l’autre, longeant une sorte de plateau haut perché sur le versant espagnol.

Un long moment plus tard, alors que nous filons toujours en direction de l’ouest, nous bifurquons sur notre droite, droit vers la crête frontière située à quelques dizaines de mètres de nous. Quand nous la rejoignons, nous retrouvons le vent et l’intégralité du cirque se dévoile de nouveau à nos yeux. Dire que ce kilomètre et demi de vide est une vision vertigineuse serait euphémiser, mais nous ne pouvons nous empêcher de nous en approcher pour contempler la Grande Cascade depuis cette vue plongeante. Une jambe en arrière pour me stabiliser, je tente quelques images. Là, tout en bas, des points microscopiques semblables à d’infimes fourmis s’agglutinent au pied de la cascade. Au cœur du mois d’août, le fond du cirque ne connaît pas la solitude qui règne à notre altitude.

Côté français, la forme de parfait demi-cercle de Gavarnie se déploie face à nous.

Puisque nous en sommes tout proches, nous posons les sacs pour aller gravir la Tour du Marboré, sommet culminant à 3009 m au centre de l’amphithéâtre. Après avoir retrouvé les sacs, nous poursuivons vers l’ouest en restant sous le fil de la crête et en suivant de rares cairns jusqu’au sommet d’un couloir raide ramenant à la voie normale.

Il ne nous reste alors plus qu’à longer le pied des falaises jusqu’à la brèche de Roland. Mais avant, nous devons nous ravitailler en eau. Nous rejoignons une grotte, remplissons les gourdes, et terminons notre longue marche jusqu’au pas des Isards, passage raide mais sans difficultés puisque équipé d’une main courante.

De là, la brèche n’est plus qu’à une dizaine de minutes de remontée. En contraste avec la solitude quasi totale que nous avons connue depuis le Lac Glacé, le lieu est bondé en cette période de l’année, et nous ne nous y attardons pas. Six heures après avoir quitté le Marboré, nous atteignons l’un de mes abris de prédilection vers 15 h. Nous savourons un repos bien mérité, à l’abri du vent, du soleil et de la foule.

D’éventuels orages lointains étaient modélisés pour cette soirée avant notre départ trois jours plus tôt, mais l’échéance à J+4 rendait la situation incertaine. Après avoir observé de nombreux nuages pré-orageux tout au long de la journée, je garde donc un optimisme relatif. Face à nous, une mer de nuage s’installe peu à peu dans la lumière du soir.

Finalement, c’est effectivement au nord que les choses se mettent en place au crépuscule. Au-delà de la mer de nuages, une silhouette à l’apparence supercellulaire se révèle dans la lueur émise par un impact extranuageux.

Malheureusement ce système ne survit pas à la tombée de la nuit, mais un minuscule cumulus congestus émerge plus près de nous sur les reliefs du nord-est. À peine formé, le petit orage monocellulaire nous gratifie de quelques éclairs alors que le crépuscule tombe sur les montagnes. Minuscule lui aussi, perdu dans l’immensité du massif, le refuge des Espuguettes émerge alors dans un ruban de brume, sa lueur timide semblant répondre à celles qui animent le nuage.

À 22 h, l’obscurité redevient totale. Nous tombons de sommeil, songeant aux étapes restantes de cette quatrième et dernière journée qui bouclera notre traversée au village de Gavarnie, 1500 mètres plus bas.

• Jour 4 | 22 août

À 8 h 30, nous descendons déjà les névés qui bordent les falaises du cirque, et atteignons le refuge puis le col des Sarradets assez rapidement. Nous passons la cascade du Taillon et quittons l’itinéraire du col des Tentes pour descendre droit vers la mer de nuages, laissant derrière nous la foule qui se presse déjà en direction de la brèche. Nous retrouvons le calme et la solitude. Le dénivelé descend rapidement par de courts lacets, autant de « Z » successifs que nous enchaînons les uns après les autres, retrouvant peu à peu la végétation qui subsiste à cette altitude.

À 10 h 30, alors que nous avons rejoint les pentes herbeuses qui plongent dans le vallon de Pouey Aspé, nous atteignons enfin la limite de la brume. Un arc blanc, phénomène analogue à l’arc-en-ciel mais dû à une réfraction de la lumière dans les fines gouttelettes du brouillard, marque la suite du sentier à la manière d’une arche fantomatique.

Après quatre jours passés sous le soleil, nous entrons dans la brume avec soulagement. Notre descente vers la vallée au côté du torrent du Taillon prend fin à un peu plus de 1800 mètres d’altitude, déjà 1000 mètres plus bas que notre point de départ du matin. Nous traversons les pâturages, longeons de nouveaux pierriers et rejoignons un ultime replat dominant les forêts du massif. Face à nous, le cirque se dévoile dans une déchirure de la brume, et nous redécouvrons l’itinéraire que nous avons parcouru depuis notre départ : des forêts du flanc est jusqu’aux hautes crêtes du cirque et au Marboré.

Après cette dernière pause, nous empruntons une minuscule sente et nous enfonçons dans les forêts. Soudainement, tous nos sens se replongent dans un environnement « vivant », où l’omniprésence de la végétation contraste radicalement avec le désert minéral que nous connaissions jusque là. Nous savourons cette dernière étape sous la fraîcheur des arbres, transition paisible vers la civilisation que nous avions quitté sans regrets quelques jours plus tôt.

Aux environs de 13 h, nous atteignons la lisière du bois et apercevons l’église de Gavarnie, bouclant finalement la boucle. Nous nous mêlons à la foule et jetons nos sacs à la table d’un bar donnant sur le cirque pour savourer la « pinte de la victoire » et un repas chaud bien mérité. Épuisés et poussiéreux, nous faisons tâche au milieu des touristes fraîchement débarqués d’un bus qui s’installent eux aussi pour déjeuner. Alors que nous mangeons, nos regards ne peuvent s’empêcher de se tourner régulièrement vers les cimes que nous venons de quitter. Si proches et si lointaines à la fois : un univers qu’un coup d’œil dévoile entre deux nuages, mais dont quatre jours d’immersion n’auront fait qu’effleurer la surface. Encore et encore, il me faudra y revenir, car toujours il sera possible d’y imaginer des explorations nouvelles.


Ce récit vient compléter celui relatant la saison orageuse 2020 dans la grande région pyrénéenne : Les Cimes Noires, un été d’orages en altitude.

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